Ces silences qui en disent plus long que les mots

Grondement de tonnerre.

Et avant même qu’elle ne s’en rende compte, ses yeux scrutent déjà les ombres qui se cachent entre les rais de lumière. Elle cherche. Elle cherche la cause de son malaise, elle cherche sans trop savoir quoi, sans trop savoir pourquoi. Son regard se perd vers la fenêtre sans carreau de laquelle un vent lourd et moite s’engouffre.

Ce n’est que l’orage.

…

Ce n’est que l’orage.

Sur ses cuisses, quelque chose s’agite, gigote comme pour dire Continue de me caresser ou quitte ce fauteuil et laisse-moi dormir. Quelle impudence pour un serviteur… Mais elle se lève tout de même, dépose la bête à fourrure qui se love aussitôt dans le creux d’un coussin plus mou que les autres. Qu’au moins l’un d’eux puisse trouver le repos…

Alors elle quitte les lieux, haute silhouette drapée de blanc.

La pluie qui tombe au dehors vient violemment frapper sa peau, mordant ses chairs pâles, s’infiltrant en elle et allant nourrir chaque fibre de son être. Pourtant, cette fois, Samaëlle ne sourit pas. Elle ne s’allonge pas au milieu de la clairière pour recueillir le plus possible de cette liqueur fabuleuse. Sur le seuil de sa maison, elle s’asseoit, jambes repliées contre sa poitrine et menton posé sur ses genoux.

Et elle regarde.
Encore et toujours trop fière pour appeler à l’aide.
Elle ne sera pas la princesse, ces robes là sont bien trop étroites, bien trop petites pour elle. Puis, ça ne lui irait pas bien : imaginez donc, elle rirait à chaque soupir, chaque regard désespéré, chaque larme… elle rirait de son rire de monstre.

Et elle attend.
Elle attend simplement que ça passe. Ca passe toujours.
Si ça ne passe pas, il suffira de faire comme si et ça finira bien par passer.

Ce n’est que l’orage après tout...
Pas la peine d’en faire toute une histoire.

Il se tournait, se retournait.
Se frottant contre la soie des coussins, il cherchait, dans son demi-sommeil, la même chaleur que celle qui le berçait tantôt..

Inutile. Il ne parviendrait pas à s’endormir sans elle.

Où était-elle passée encore ?

Un œil… puis deux. Maintenant qu’il était tout à fait réveillé, elle avait intérêt à avoir une bonne excuse. Ou au moins une bonne bouteille d’alcool à lui proposer. Après tout, elle ne buvait que de l’eau – pauvre folle… ! – alors elle pouvait bien lui en donner. Ca lui éviterait de devoir faire tout le chemin jusque chez les fées pour leur chiper quelques bouteilles – c’était qu’il y laissait toujours des plumes, le pauvre…

Le bruit du Ciel qui se fendait en deux attira soudain son attention. L’orage bien sûr… L’étrange créature à poils – renard en tube !!! – lâcha un semblant de soupir. Cette femme était bien étrange. Parfois, il se demandait pourquoi il restait avec elle – alcool, petits gâteaux et fraises mis à part. Ah oui… pour avoir un toit : il détestait devoir dormir dehors. Certains appelaient ça la belle étoile, mais dormir au milieu de tant de petites lumières horripilantes relevait de l’exploit.

Zigzagant habilement entre les quelques meubles, Kitsune se hissa jusqu’à la fenêtre par laquelle il sortit, se laissant tomber au sol. Il n’eut pas à chercher bien longtemps, Samaëlle ne s’installait jamais qu’à deux endroits lors des orages, si bien qu’il avait fini par les classer en deux catégories : ceux où il aurait droit à de l’alcool – souvent lorsque sa maîtresse se morfondait toute seule dans son coin et voulait éluder toute question – et ceux où il pouvait toujours se brosser pour avoir droit à la moindre sucrerie – lorsque sa maîtresse était joyeuse, elle était toujours d’un égoïsme maladif.

D’un coup de museau sur sa cheville, il attira son attention, attendant qu’elle tende le bras pour aller s’enrouler autour du cou gracile.

Tu aurais dû venir me réveiller…

Mais Samaëlle n’appelait jamais à l’aide. Qu’elle tombe si elle devait tomber, mais il ne fallait pas compter sur elle pour avouer qu’elle avait besoin d’aide.

Finalement, elle était peut-être tout simplement stupide.

Te réveiller pour quoi ?

Pour si peu ? Inutile. Ca passe toujours.
Il suffit d’attendre.

Une minute. Une heure. Un jour.
Un mois. Une année.
Ou une vie.

Mais ça passe toujours.

Ses doigts viennent se perdre dans l’immaculée fourrure, recherchant la chaleur qui leur manque cruellement, cet instinct de vie qu’elle ne comprend pas. L’étreinte du renard se veut réconfortante autour de cette gorge où ne bat aucun pouls et finalement, elle n’a pas besoin de plus. Cette présence silencieuse, elle ne se souvient même pas avoir jamais vécu sans.

Pourtant il s’était écoulé tant d’années, tant de siècles avant que lui n’arrive comme un boulet de canon, un invité importun et un parasite, tout ça à la fois, dans ce monde qu’elle se façonnait pour elle seule et pour personne d’autre.
Ce qui l’a poussé a accepté sa présence, elle ne s’en souvient même pas. Peut-être simplement parce qu’aucune promesse, aucun serment ne les lie. Parce qu’il se moque bien ses cicatrices, que chacun les garde pour soi c’est déjà bien assez de boulot. Il se contente d’être là, sans rien dire, sans rien demander.

Alors elle se sent bêtement rassurée.

Délicatement, elle détache la créature de son cou, la recueille dans le berceau de ses bras. Ce sourire ambigu qui vient courber sa bouche sans pourtant couler jusqu’aux prunelles d’ambre ne signifie qu’une chose : la levée des boucliers.

Rentrons. Tu dois avoir envie de boire.

Elle sait d’avance qu’il ne refusera pas.
Il ne refuse jamais : c’est une arme, une défense comme une autre.